Entraîneurs, joueurs, dirigeants... tous sont loués à la même enseigne. Celle de devoir performer tout de suite, tout le temps, chaque jour de l'année. En football, les calendriers sont démentiels, les organismes toujours plus sollicités, pour un spectacle qui s'en fait forcément ressentir. Beaucoup de clubs, entraîneurs, joueurs ont déjà tiré la sonnette d'alarme. Mais outre le physique, l'aspect mental est prépondérant dans le football et dans le sport de haut niveau. Pour autant, la préparation mentale n'est pas toujours prise au sérieux, menant à des cas extrêmes, comme celui d'Alexis Beka Beka ces dernières heures.

La peur de se livrer

"De quoi se plaignent-ils, ils sont millionnaires ?", peut-on entendre entre le fromage et le dessert lors des repas de famille parfois houleux lorsqu'on évoque le cas de certains joueurs, fatigués après une saison à près de 60 matches pour les plus chanceux d'entre eux. Totalement lessivés de devoir performer tous les trois jours, faire face aux insultes et réactions disproportionnées des réseaux sociaux, gérer une vie personnelle pas toujours équilibrée. Depuis quelques années seulement, la préparation mentale est un vrai sujet dans les clubs professionnels, et notamment en Ligue 1.

Mais comment apprendre à se livrer lorsque, depuis le centre de formation, on vous fait comprendre qu'il n'y a pas de place pour les états d'âmes et qu'il faut coûte que coûte se faire une place, justement ? Être plus fort que son coéquipier, celui qui peut un jour réaliser votre propre rêve de devenir professionnel. C'est pourquoi il semble primordial de mettre à la disposition des joueurs, pros ou non, des intermédiaires leur permettant de se livrer en toute transparence, sans jugement. Beaucoup de grands talents ont explosé en plein vol par manque de soutien moral et d'accompagnement. Par chance, certains clubs l'ont compris, mais peut-être un peu tardivement.

"S’intéresser à l’homme avant de s’intéresser au sportif"

L'OGC Nice a été touché ces dernières heures par un événement qui aurait pu être dramatique. Alexis Beka Beka a menacé de se suicider, les jambes suspendues dans le vide, du haut du viaduc de Magnan. Touché psychologiquement après une rupture amoureuse, le jeune homme de 22 ans était proche de passer à l'acte et de commettre l'irrémédiable. Un cas qui a fait beaucoup de bruit, et qui pointe du doigt l'importance pour ces jeunes athlètes de pouvoir se confier pour éviter le pire. En 2020, Jeremy Wisten se donnait la mort, à 17 ans à peine, après ne pas avoir été conservé par Manchester City. Pour certains, l'échec peut être l'épreuve de trop à surmonter. D'autant plus si, depuis tout petit, on vous promet un brillant avenir.

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Alexis Beka Beka, sous les couleurs de l'équipe de France Espoirs. (Icon Sport)

En Ligue 1, d'ailleurs, c'est l'OGC Nice qui a été pionnier dans l'instauration d'un préparateur mental. C'était en 2016. Thomas Sammut s'était confié sur son rôle à 20 minutes. "S’intéresser à l’homme avant de s’intéresser au sportif", soufflait-il, avant d'en dire davantage. "Je m’attendais à voir des joueurs de foot épanouis sur le terrain en match, et c’était l’opposé. Je voyais des joueurs focalisés sur leurs statistiques. Ils étaient plus dans la peur de mal faire que dans l’envie d’oser et d’entreprendre. Je voyais des stéréotypes" poursuit-il, avant d'évoquer les réticences de certains joueurs de venir le voir. "Ils ne se vantaient pas quand ils venaient me voir. Ça reste un sport macho. Il y a ce côté pudique. Et je les comprends. Ils peuvent avoir peur qu’on dise : "Il prend un préparateur mental, ça veut dire qu’il est faible mentalement donc on ne va pas miser sur lui !".

La préparation mentale doit ouvrir des portes

Et s'il n'est plus en poste au Gym depuis 2019, Thomas Sammut montre néanmoins l'importance d'encadrer des joueurs, les accompagner au quotidien ou lorsqu'ils en ressentent le besoin. Les voisins monégasques, de leur côté, ont aussi fait appel à deux psychologues en 2022 : Emilie Thienot et Sophie Huguet. De plus, l'ASM fait un bilan sur l'état de forme de chaque joueur, tous les matins. En fonction des résultats et de ses réponses, un entretien est réalisé pour comprendre les raisons de sa fatigue mentale, comme l'expliquait le club dans 24h de Boulleau, sur Canal +. Ainsi, l'aspect mental n'est pas négligé partout. Pour Bruno Genesio, en revanche, il y a encore du travail. "Je pense que c’est un domaine dans lequel on doit énormément progresser. Nous, on a aussi la chance depuis 2 ans de travailler avec des psychologues et des préparateurs mentaux et je pense que ça sera un élément de plus en plus important pour nos joueurs, à la fois pour le football, mais aussi pour leur vie extra football" a-t-il déclaré en conférence de presse en évoquant le sujet Beka Beka.

L'aspect mental, un sujet universel

Chez les hommes comme chez les filles, le sujet interpelle. Des plus jeunes générations aux plus anciennes. La capitaine des Girondins de Bordeaux, Andréa Lardez, expliquait en avril dernier dans le podcast MEDIT'ACTION la place de la préparation mentale dans le sport de haut niveau. Elle qui a fait des études de psychologie en parallèle de sa carrière de footballeuse, elle pointait du doigt le manque d'accompagnement et de sensibilisation des joueuses dans ce domaine.

"On voit très peu de préparateurs mentaux, ce n'est pas complètement reconnu. On voit très peu de préparateurs mentaux ou de psychologues. C'est pour cela que certains sportifs ne comprennent pas ou pensent que ce n'est pas la priorité. Je pense aussi qu'on a longtemps fait ressortir aux sportifs que le mental, c'était à eux de le gérer, qu'on l'avait ou qu'on l'avait pas. On parle beaucoup d'aspects mentaux, mais à aucun moment on se dit qu'il serait intéressant de le travailler."

Andréa Lardez, dans le podcast MEDIT'ACTION

Autre joueur à tirer la sonnette d'alarme : Frédéric Guilbert. Le joueur du RC Strasbourg, dans un tweet, a tenu à apporter son soutien à Beka Beka, mais pas que. "Je suis vraiment attristé d'apprendre qu'un jeune footballeur ait voulu mettre fin à ses jours. La santé mentale est un sujet crucial et il est important de soutenir ceux qui en ont besoin. Nous devons tous être attentifs et bienveillants envers les autres. Gagner "beaucoup" d’argent, être populaire n’est pas signe de bonheur ultime. Derrière chaque joueur se cache un homme avec ses forces et ses faiblesses. J'espère sincèrement qu'il pourra trouver l'aide et le soutien dont il a besoin pour surmonter cette épreuve" a-t-il écrit. De quoi justement ouvrir des portes supplémentaires, alors que l'aspect physique est toujours plus mis en valeur. On oublie trop souvent qu'il faut aussi avoir la tête bien pleine et bien faite pour durer dans le temps. Le football, comme tous les sports, se jouent aussi et surtout avec la tête. Les joueurs, joueuses, entraîneurs, ne sont pas des robots. Alors aidons-les.