"Rangnick ? C’est qui, Rangnick ? Je ne sais pas qui c’est." Les mots proviennent de la bouche de Zlatan Ibrahimović, en juillet 2020. A l'époque, ce mystérieux M. Rangnick est pourtant annoncé comme le prochain entraîneur du Suédois à l'AC Milan. Ralf Rangnick, voyons, le célèbre père du gegenpressing allemand. Celui qui a inspiré Jürgen Klopp, Thomas Tuchel, Julian Nagelsmann et bien d'autres. Celui qui a amorcé la révolution tactique et managériale qui a fait entrer le football dans la version moderne qui prédomine encore aujourd'hui.
Mais si la réplique de "Zlatan" fait partie du personnage, elle illustre aussi le manque de connaissance du grand public à l'égard d'un homme qui a toujours préféré évoluer dans l'ombre. Et qui pourrait bientôt être projeté sous le feu des projecteurs en tant qu'entraîneur de Manchester United, sans que l'on sache si la lumière ne risque pas de l'éblouir...
Ralf Rangnick, là où tout a commencé
Retour au début des années 1980, là où tout a commencé. A l'époque, Rangnick est un modeste entraîneur-joueur en sixième division allemande. Il tente déjà de faire jouer son équipe de manière plus séduisante que la tradition allemande de son temps (basée sur la hargne, les duels et les frappes de loin). Et une rencontre va tout changer pour lui...
Comme le retrace le magazine So Foot, dans son n°175 consacré au gegenpressing, Rangnick découvre un certain Helmut Gross. Ce dernier, lui aussi entraîneur en sixième division, s'inspire de techniciens précurseurs pour développer une vision du football basée sur deux concepts révolutionnaires. D'une part, le marquage en zone utilisé notamment par Ernst Happel (finaliste de la Coupe du monde 1978 avec les Pays-Bas). D'autre part, un pressing agressif sur le porteur de balle, porté par Valeri Lobanovski avec le Dynamo Kiev. Et Ralf Rangnick, séduit, veut assister à une démonstration en chair et en os...
Pressing, marquage en zone et suppression du libero
Il fait venir le Dynamo Kiev de Valeri Lobanovski en Allemagne pour disputer un match amical, et se prend une immense claque dans la figure (au sens figuré). Son équipe, dévorée, pressée de toutes parts, n'a pas vu le jour. Les joueurs de Kiev semblent 22 sur le terrain. Rangnick et Gross, enchantés par ce qu'ils voient (malgré la déculottée), décident donc de reprendre le concept en y conjuguant le marquage en zone. Et en passant à une défense à quatre, supprimant ainsi le poste de libéro, véritable hérésie au pays de Franz Beckenbauer et Lothar Matthäus !
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Gross, promu responsable de l'académie du VfB Stuttgart en 1989, impose alors sa vision à toutes les catégories d'âge du club, dont les U19 dirigés par... Ralf Rangnick, qu'il a fait venir entretemps. Le monstre était créé : Rangnick poursuit son bonhomme de chemin jusqu'à devenir entraîneur de l'équipe première en 1999, puis prend les commandes de Schalke en 2004 et de Hoffenheim en 2006. Ses résultats sont tout simplement ahurissants.
La recette du succès
En seulement deux ans et demi, il fait passer Hoffenheim de la troisième division au titre honorifique de champion d'automne en Bundesliga. A Schalke, il propulse le club de la Ruhr en demi-finale de la Ligue des champions en 2011. A Leipzig, il fait là aussi passer le club de la quatrième à la première division en quelques années. Un constat encore plus bluffant quand on se penche sur la moyenne d'âge de ses équipes : 21,9 ans à Hoffenheim, 24 ans à Salzbourg et Leipzig (où elle était de 30 ans avant lui)... "On a rapidement compris que ça avait plus de sens d'investir sur de jeunes talents" , expliquait le gourou à So Foot. "Ils ont cette envie de progresser chaque jour, ils sont davantage capables de récupérer après les efforts…”
C’est de cette façon que Rangnick va aussi tracer la voie de l’économie du football moderne (sans le vouloir forcément), avec le modèle de formation ou d’achat de jeunes à fort potentiel dans l’objectif de les revendre avec une énorme plus-value. Mais une question s'impose : comment Rangnick fait-il pour transformer de jeunes louveteaux en chefs de meute alpha (avec Sadio Mané, Joshua Kimmich ou Timo Werner comme meilleurs exemples) ?
Pour répondre à cette question, le principal intéressé met en avant son côté méticuleux. “J’essaie toujours d’avoir à mes côtés des gens qui sont aussi fous de football que moi et qui aiment ce sport autant que moi. Tous ensemble, nous travaillons à perfectionner les plus petites pièces du puzzle" , racontait-il à So Foot.
Manchester United va se convertir au pressing
Alors concrètement, comment Rangnick s’y prend-il pour métamorphoser ses clubs ? A quoi Manchester United doit-il s’attendre ? Au niveau du jeu, le gegenpressing devient bien sûr le nouveau point de référence sur lequel tout le projet est orienté. Et pour Rangnick, cette approche ne doit laisser aucune place au hasard.
“Pour moi, une équipe de football, c’est comme un orchestre : si tu as un concert le samedi soir, tu dois avoir joué avec le même rythme et la même intensité que sur scène pendant la semaine" , posait-il pour So Foot. "À Hoffenheim, par exemple, on s’entraînait énormément autour d’oppositions réalisées sur des espaces réduits. Avec une règle simple : une ou deux touches de balle, et si une équipe n’a pas marqué en huit secondes, le ballon est rendu à l’équipe adverse. Il y avait aussi le compte à rebours géant, qui servait de minuteur, et un buzzer quand cela tombait à zéro. Ainsi, les joueurs étaient en situation de pression, une pression plus importante que celle qu’ils allaient rencontrer le week-end. De cette manière, on entraîne le cerveau... Je suis persuadé que pendant les matchs, les joueurs entendaient ce tic-tac.”
Pour Rangnick, le gegenpressing n'est finalement qu'un moyen pour implémenter sa vision offensive et spectaculaire du football. “Quand j’étais joueur en troisième division à 18-19 ans, j’étais déjà dans cet esprit. Parfois, il était écrit que j’avais fait un bon match en tant que numéro six, que j’avais bien contenu le meneur de jeu adverse. Mais je n’avais touché le ballon que six ou sept fois dans la moitié de terrain adverse… Quand j’ai voulu devenir entraîneur, j’ai toujours eu cette envie intime : je voulais que mon équipe soit attrayante, qu’elle ne soit jamais ennuyeuse, qu’elle soit proactive…”
Un despote, Ralf Rangnick ?
Animé par sa vision, Rangnick est un dogmatique. Il n’est pas vraiment du genre à remettre son projet en question si les choses ne tournent pas comme elles le devraient. Et ce n’est pas un hasard s’il fait autant rabaisser la moyenne d’âge de ses effectifs… “Les jeunes talents discutent moins les choix stylistiques. Ils nous font confiance. Si on leur dit qu'il faut presser de telle manière, ils comprennent que c'est dans l'intérêt de l'équipe." D’ailleurs, alors que Zlatan Ibrahimovic ne semblait pas vouloir de l’Allemand à Milan, le sentiment était réciproque du côté de Rangnick, qui avait prévu d'évincer fissa le Suédois et son ego...
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Plus globalement, Rangnick est un homme qui aime avoir les pleins pouvoirs. Il n’hésite ainsi pas à cumuler les fonctions d’entraîneur et de directeur sportif. C’est d’ailleurs pour cette raison que le mariage ne s’est pas fait à l’AC Milan. Les Rossoneri, qui étaient prêts à se séparer de la légende Paolo Maldini pour les beaux yeux de Rangnick, avaient offert à ce dernier le poste de directeur sportif sur un plateau. Mais l’Allemand n’a pas supporté que Milan refuse de lui confier la double casquette directeur sportif-entraîneur, et il a alors décidé de claquer la porte...
A Manchester United, l'épreuve du très haut niveau
Pour Manchester United, la transition risque d’être brutale après le “bisounours” Ole Gunnar Solskjaer. D’autant qu’avant lui, l’expérience s’était mal passée avec les autoritaires Louis van Gaal et José Mourinho. Jusqu’à présent, Rangnick a toujours eu le loisir de faire ce qui lui plaisait dans ses clubs. Mais chez les Red Devils, il n’est pas certain qu’on lui laisse autant de liberté...
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Les principales interrogations concernent aussi le pedigree assez léger de Rangnick en tant qu’entraîneur de très haut niveau. Jusqu’à présent, l’homme de 63 ans n’a quasiment dirigé que des formations qui venaient de nulle part, ou du moins des outsiders. Comment se comportera-t-il à la tête d’un club historique, où le moindre faux-pas n’est pas permis ? Saura-t-il supporter la pression du résultat au quotidien ? Saura-t-il gérer une star comme Cristiano Ronaldo sans le froisser ? A Manchester United, Rangnick ne devrait de toutes façons assurer l’intérim que six mois sur le banc, avant d’assurer un rôle de conseiller. Dans l’ombre, là où il est le meilleur.