Agacé par les innombrables allusions à ce fameux mois de juillet de la Coupe du monde 2018 qui restera à jamais cousu sur le maillot de l’équipe de France, Hugo Lloris se voulait ferme à Kiev, samedi 4 septembre. "L’euphorie de 2018, c’est terminé" , a martelé le capitaine français. Et après le triste match nul décroché dans la capitale ukrainienne (1-1), difficile de le contredire. Didier Deschamps a d'ailleurs emprunté le même chemin que son gardien. Le sélectionneur a ainsi rappelé que, contre l'Ukraine, Lloris était avec Paul Pogba et Raphaël Varane le seul rescapé de l'équipe de France titulaire lors de ce 15 juillet 2018 doré.
Faire du vieux avec du neuf : la recette de Deschamps
Mais alors que les visages ont changé, "DD" est resté et avec lui ses idées. Depuis Moscou, de l’eau a coulé sous les ponts. Les champions du monde Samuel Umtiti, blessé et éloigné du haut niveau, ainsi que Blaise Matuidi, parti profiter du soleil de Miami, sont sortis des radars des Bleus. Deschamps les a remplacés au pied levé par Presnel Kimpembe et Adrien Rabiot, dans son système asymétrique qui a fait le succès des Bleus en 2018. Mais le sélectionneur n’est pas sans savoir que Rabiot n’est pas Matuidi. Souvent moqué pour son style, "Blaisou" présentait une qualité de centre certaine et un volume que le Turinois n’a pas, et qui se montre encore plus préjudiciable au poste d'ailier gauche auquel Rabiot est cantonné par Deschamps.
Joueur de talent, le milieu formé à Paris s’est pourtant installé à ce poste dans cette période post-Mondial. C’est d’ailleurs lui qui occupait cette position le 14 novembre dernier lors du succès français au Portugal (0-1) en Ligue des Nations. Un match unanimement reconnu comme le plus abouti des Bleus depuis la Coupe du monde.
Mais à Kiev, malgré une performance solide de Rabiot à la récupération notamment, l’organisation a affiché toutes ses limites dans la créativité et la capacité à apporter du danger dans les derniers mètres. Depuis trois ans, Deschamps essaye, tâtonne, réfléchit, mais continue de chercher. Pas toujours aidé, il est vrai, par la malchance et par les absences répétées depuis 2018 de N'Golo Kanté, Lucas Hernandez et Benjamin Pavard, hommes de base - comme Umtiti et Matuidi - de la campagne russe.
Benzema remplace Giroud et l’attaque doit se réinventer
Plus haut à la pointe de l'attaque, là où les matchs se décident, Karim Benzema a tout fraîchement remplacé Olivier Giroud. Et si les qualités de "KB19" ne peuvent faire l'objet d'aucun débat, son style différent du deuxième meilleur buteur de l’histoire des Bleus oblige mécaniquement les joueurs offensifs à réinventer une animation. Et pour le moment, celle-ci sonne faux. Elle ressemble à une symphonie désaccordée dans laquelle chacun cherche par moments à réussir sa partition de soliste.
Homme le plus remuant mercredi 1er septembre contre la Bosnie (1-1), mais en manque de réussite, Kylian Mbappé symbolise ce joyeux désordre. Le Parisien, pourtant si brillant en club, n'a plus marqué avec le maillot bleu depuis sept matchs. S'il ne peut être tenu pour seul responsable, la quête de repères des éléments offensifs français est évidemment l’une des explications.
Antoine Griezmann, de son côté, a transposé ses difficultés barcelonaises en sélection. Là encore, le jeu des Bleus n'aide pas le milieu offensif. L’absence de Giroud, à même de lancer par ses déviations dos au jeu les flèches Mbappé et "Grizou" , se fait sentir. Surtout, à Kiev, le jeu a fortement pris position dans l’axe du terrain. Cette très forte densité axiale a empêché le Mâconnais de s’exprimer comme il le voudrait.
Les couloirs du vide
La position moyenne des Bleus est d’ailleurs parlante. Contre la Sbirna, Kingsley Coman (numéro 20 ci-dessous) a occupé une étonnante position de faux n°9 quand Léo Dubois (numéro 2) était seul dans son couloir pour animer un côté droit dans lequel sa position moyenne dépassait tout juste la ligne médiane… Facile à défendre, pour des locaux solidement concentrés à fermer l'axe.
Apporter plus de largeur aurait certainement aidé le jeu des Bleus. La contribution des latéraux, quasi inexistante contre la Bosnie et en Ukraine, est à ce titre préoccupante. Comment comprendre que Théo Hernandez et Nordi Mukiélé, aux qualités propres à étirer un bloc adverse et à apporter du danger dans son dos, n’aient fait que s'échauffer au stade Olimpiski ?
La muraille défensive s’est effondrée
Quoiqu'en pense Thibaut Courtois, l’équipe de France version 2018 était une machine à défendre. Une machine formidable qui s’est considérablement enrayée. Pour preuve, les Bleus ont concédé l’ouverture du score lors de leur cinq dernières sorties et ont été obligés de réagir. Si cette capacité de réaction est un atout certain, force est de constater que la solidité défensive n’est plus.
Dans ce secteur, l’absence de Lucas Hernandez pèse sans aucun doute. La charnière Kimpembe / Varane, elle, n’apporte pas les mêmes garanties qu'Umtiti / Varane. De même, les différents systèmes à trois centraux testés par Deschamps n’ont jamais donné entière satisfaction. Allant même jusqu'à précipiter le fiasco bleu à l’Euro contre la Suisse.
Les joueurs cherchent des repères... que Deschamps ne leur donne pas
Un poste symbolise à lui seul les tâtonnements défensifs. Quand Benjamin Pavard n’est pas là, Deschamps n’a pas de solution de remplacement. Faute de l'avoir trouvée. Brillant dans l’axe à Séville, Jules Koundé a ainsi honoré ses trois premières capes au poste de latéral droit. Une position occupée deux fois seulement en Andalousie... Des débuts forcément difficiles pour l'ancien Bordelais, mis en lumière par le carton rouge reçu contre la Bosnie. Quand Deschamps évoque un "manque de réussite" qui poursuit ses joueurs, il oublie de préciser que celle-ci vient avec la confiance que les joueurs puisent dans les repères.
À 22 ans, Koundé découvre la sélection et n’est pas mis dans les meilleures conditions pour prendre ses marques. Rabiot, capable de briller dans l’entrejeu, se retrouve lui à un poste qui dénature ses qualités. Et ce après avoir déjà passé l’Euro à défendre le couloir gauche de la défense. Dans le secteur défensif comme offensif, le manque de prise de risque du sélectionneur (ne pas aligner quatre offensifs, toujours associer un droitier et un gauche en défense...) semble peu à peu déteindre sur ses joueurs. Des joueurs qui finissent par s’inscrire dans un cadre duquel ils ne se risquent plus de sortir.
Les coups de pied arrêtés ne sont plus une arme
Enfin, un dernier point met en lumière le changement de visage des Bleus. De grande force au Mondial, les coups de pied arrêtés sont devenus une faiblesse. Et ce ne sont pas les récentes déclarations de Deschamps qui permettront d’y voir plus clair. Alors qu’Antoine Griezmann était le tireur attitré en Russie, le joueur de l'Atlético se partage désormais les responsabilités avec Mbappé.
"C'est un peu les deux. Il y a différentes options, c'est bien d'avoir de la variété et de surprendre l'adversaire, mais aussi comment les joueurs se sentent. Sur les coups francs, il y a un ordre aussi. Tant qu'on n'arrive pas à des scènes (entre les joueurs). Il y a un ordre au départ mais, - et j'ai été joueur -, il y aussi le ressenti."
Didier Deschamps en conférence de presse
Résultat, si Griezmann a inscrit un but très chanceux (du dos !) sur cette phase de jeu contre la Bosnie, la France a perdu de sa superbe dans un domaine qui lui avait tant servi à la Coupe du monde. L’Uruguay, la Belgique et la Croatie s’en souviennent…
Tchouaméni, Diaby et Pogba, lueurs dans la tempête
Alors bien sûr, tout n’est pas à jeter. Même avec 9 points en 5 matchs, la France reste en tête de son groupe. Aurélien Tchouaméni et Moussa Diaby ont aussi affiché du caractère pour leurs grands débuts en Bleu. Le milieu de Monaco s'est montré très utile dans la récupération et la distribution alors que l'ailier du Bayer Leverkusen a réveillé l'attaque française à Kiev, allant même jusqu'à trouver le poteau après une belle combinaison avec Benzema.
Surtout, le costume de patron est toujours aussi bien porté par Paul Pogba. Le Mancunien est à l'origine de presque toutes les situations françaises. Enfin, et c'est à noter, les Bleus n’ont plus perdu depuis le 11 novembre 2020. C'était face à la Finlande, que l'équipe de France retrouve justement ce mardi 7 septembre...
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Mais face aux coéquipiers de Teemu Pukki, les Bleus vont devoir retrouver de l'éclat au risque de s'exposer à de sérieuses déconvenues. Deschamps va lui devoir se réinventer. Et trouver à l'avenir des solutions qui se cachent sans aucun doute dans le riche vivier tricolore. Autrement, le mondial au Qatar sera sans doute son dernier. Y être serait déjà un premier soulagement...