C'est très douloureux à voir. Jadon Sancho, si flamboyant avec le Borussia Dortmund, si créatif et audacieux, semble avoir perdu tout ce qui faisait la magie de son football depuis son arrivée à Manchester United contre 85 millions d'euros cet été. Ses statistiques traduisent une partie du problème : 0 but et 0 passe décisive en 9 apparitions cette saison.
Même s'il serait incorrect de tirer un premier bilan aussi tôt, Sancho a débarqué avec des attentes immenses à Manchester cet été. Et son talent laissait supposer qu'il pourrait faire sensation rapidement auprès des supporters mancuniens. Mais l'ancien diamant du Borussia Dortmund (50 buts et 64 passes décisives en 137 matchs) s'est au contraire transformé en fantôme. Ce qui peut s'expliquer de diverses manières...
Sancho a manqué de temps, et il en a encore largement besoin
Premièrement, Jadon Sancho n'a pas pu compter sur une préparation optimale. Après avoir disputé la finale de l'Euro 2020 avec l'Angleterre le 11 juillet, il n'a repris l'entraînement collectif que le 9 août. Soit cinq jours seulement avant le premier match de la saison contre Leeds, qu'il a disputé en entrant à 15 minutes de la fin...
Or, Ole Gunnar Solskjær a souligné à quel point les recrues de Manchester United avaient besoin de temps pour s'adapter au club. "Sancho apprend nos entraînements, il apprend comment on joue" , a commencé l'entraîneur norvégien en conférence de presse, en prenant l'exemple d'un Cristiano Ronaldo qui, lui, ne débarque pas en terrain inconnu. "La façon dont nous faisons les choses ici est entre les murs et vous devez en faire l'expérience pour pouvoir la transmettre. Cristiano connaît tout ça. Ce qui s'est passé (aux entraînements) avant son premier match contre Newcastle, Cristiano l'a bien géré. Tactiquement, il obtient ce que nous voulons de lui."
Southgate défend aussi son poulain
Le sélectionneur de l'Angleterre Gareth Southgate, lui, a avancé des raisons plus générales pour expliquer les difficultés de son poulain. "On ne devrait pas être surpris (de son début de saison difficile). Pour un jeune joueur, c'est un gros changement de déménager, de découvrir une nouvelle ville, un nouveau championnat, un nouveau club, une nouvelle façon de jouer, des entraînements différents... Il y a beaucoup à appréhender, donc ça va prendre du temps."
Southgate a aussi souligné à quel point la transition entre la Bundesliga et la Premier League pouvait être brutale. "La Bundesliga est idéale pour les jeunes joueurs, qui peuvent y progresser. Il y a quelques très bonnes équipes, mais les autres ne sont pas à ce niveau. Alors qu'en Premier League, chaque match est dur et intense. On ne va pas marquer le même nombre de buts et de passes décisives qu'en Bundesliga. Jadon est probablement en train de s'en rendre compte..."
Tir au but raté en finale de l'Euro, vague de haine et poids du transfert à assumer
Sancho vit donc une période troublante, qu'il faut pouvoir aborder avec une condition mentale optimale. Or, c'est là où le bât blesse. Kylian Mbappé n'est pas le seul à avoir dû digérer un tir au but raté à l'Euro cet été. Sancho est l'un des trois jeunes Anglais à avoir vécu cette même expérience, qui s'est transformé en traumatisme dans son cas. Car cela s'est produit en finale contre l'Italie, à domicile, avec les espoirs déchus de tout un peuple à porter... Une douche froide qui a pris la tournure d'un calvaire quand Sancho a été la cible d'une vague d'insultes racistes en ligne après cet échec. Bukayo Saka, l'une des deux autres victimes, a d'ailleurs décrit à quel point ce déferlement de haine l'a marqué au plus profond de sa chair.
Comme si cela ne suffisait pas, Sancho a aussi le poids de son transfert à assumer. Le jeune homme qui vaut 85 millions d'euros est le deuxième Anglais le plus cher de l'histoire. Et à Manchester United, on sait mieux qu'ailleurs coller une étiquette étouffante aux recrues majeures. Alexis Sánchez, Ángel Di María, Radamel Falcao ou Henrikh Mkhitaryan, entre autres, peuvent en témoigner... Et dans le cas de Sancho, il y a aussi un "effet décompression" après avoir obtenu le transfert qu'il voulait tant et qui avait déjà failli se faire lors du précédent été.
Un rôle différent et moins central dans le jeu de Manchester United
Cette perte de confiance a un fort impact sur son jeu. Confronté à des défenseurs plus rugueux et à des défenses plus regroupées, Sancho réussit moins de dribbles. Conséquence : il s'est mis à en tenter moins. Car il sait aussi que les pertes de balle seront sanctionnées plus sévèrement qu'avec le BvB. C'est pour cela que le natif de Londres apparaît aussi neutre avec le maillot des Red Devils : la folie s'est estompée dans son jeu.
Le principal problème est que Sancho doit s'adapter à un statut plus compliqué qu'à Dortmund. En Allemagne, il était un élément central de son équipe, celui que ses partenaires recherchaient pour lancer les offensives. Pour preuve : son nombre de ballons touchés, qui était de 83 toutes les 90 minutes, soit plus que ses milieux. Un chiffre très élevé pour un ailier... et qui est similaire aux statistiques de Bruno Fernandes dans ce domaine avec Manchester United. Chez les Red Devils, la charge du jeu revient au milieu offensif portugais et à Paul Pogba. Et en attaque, l'aura de Cristiano Ronaldo attire naturellement les ballons vers le quintuple Ballon d'Or. Jadon Sancho a donc du mal à trouver sa place au milieu de ces gros bras.
L'herbe n'est pas la plus verte à gauche de l'attaque
Il faut dire que son entraîneur Ole Gunnar Solskjær ne l'aide pas beaucoup. A priori recruté pour occuper le flanc droit de l'attaque, Sancho est cantonné à l'aile gauche par le technicien norvégien. De l'autre côté, Mason Greenwood est en pleine bourre, et Solskjær fait tout pour maintenir la dynamique du génial gaucher. Et alors que Greenwood peut compter sur un latéral redoutable défensivement (Aaron Wan-Bissaka) qui lui permet de jouer son jeu, Sancho doit quant à lui composer avec un Luke Shaw très porté vers l'attaque, qui expose le côté gauche mancunien en cas de perte de balle.
Sancho n'est pas fait pour être remplaçant
Quoi qu'il en soit, le principal frein à la progression de Sancho est sa condition physique. Un détonateur comme lui ne peut pas réussir s'il n'a pas son coup de rein et son explosivité pour résister aux adversaires. L'autre conséquence majeure est que le joyau de 21 ans ne peut pas enchaîner les titularisations et doit se contenter d'apparitions en sortie de banc. Or, son passé au Borussia Dortmund et en équipe d'Angleterre a montré qu'il est tout sauf performant dans cette configuration. La saison dernière, il n'a délivré qu'une passe décisive (sur ses 20 au total) lorsqu'il n'était pas titulaire. Même constat chez les Three Lions, avec 3 buts et 6 offrandes lors de ses 12 titularisations, contre 0 but et une passe décisive en 11 sorties de banc...
Pogba, Greenwood, Rashford, Lingard, Martial... Toujours plus de concurrence pour Sancho
Et le pire pour Sancho est que sa situation ne devrait pas s'arranger dans les semaines à venir. Marcus Rashford, longtemps blessé à l'épaule, a en effet retrouvé le chemin de l'entraînement. Il devrait même être présent dans le groupe contre Leicester, ce samedi 16 octobre en Premier League (16h). Sancho ferait bien de se montrer rapidement convaincant avant que l'ailier gauche fétiche des Red Devils retrouve ses sensations.
Car pour l'instant, Solskjær lui préfère toujours le milieu Paul Pogba et même l'attaquant Anthony Martial lors du dernier match. Quant à Jesse Lingard, lui aussi en forme, il pourrait bientôt passer devant Sancho dans l'esprit de Solskjær. Mais comme l'a résumé l'entraîneur norvégien, il n'y a aucune urgence : "nous avons recruté Jadon pour avoir un top attaquant lors des 10-12 prochaines années." Cela vaut bien quelques mois difficiles pour lancer la machine.