C'est une situation qui ressemble à un paradoxe. Comment expliquer que Burak Yılmaz, la star de la Turquie, capitaine, leader et deuxième meilleur buteur de l’histoire de la sélection, soit détesté par une frange non négligeable de son pays ? Parce que l'attaquant de 35 ans n'a tout simplement rien de consensuel. Sur le terrain, en dehors du terrain, et même dans ses opinions politiques...

Passé par les trois clubs rivaux d'Istanbul

Il faut lui reconnaître cela : Yılmaz n'a pas froid aux yeux et ne craint pas d'être haï. En Turquie, où le football est une question de vie ou de mort pour les supporters, l'attaquant a tour à tour porté les couleurs des... trois clubs rivaux d'Istanbul. Beşiktaş, d'abord (2006-2008, 2019-2020), puis Fenerbahçe (2008-2010) et Galatasaray (2012-2016), mais aussi Trabzonspor (2010-2012, 2017-2019), le quatrième plus grand club du pays. "Tout supporter turc a détesté Burak Yilmaz un jour" , résume Antoine Michon, spécialiste du foot turc et président du think tank Sine qua non auprès de Ouest France.

Heureusement pour lui, Yılmaz est tellement bon qu'il finit toujours par renverser l'opinion. "C’est un joueur qu’on aime détester au début et, à la fin, on l’aime tout court" , confirme son ancien coéquipier à Galatasaray Aurélien Chedjou auprès de Ouest France. "Il connaît les supporters turcs. Il me disait'Dès que je vais marquer, tu vas voir, ils vont changer d’avis'."

Yılmaz, "tricheur" et bad boy

A son arrivée dans ces nouveaux environnements hostiles, Yılmaz aurait eu toutes les raisons de se faire tout petit. Mais ce n'est pas dans le caractère du bonhomme. L'attaquant de Lille, champion de France cette saison, est un homme de frasques, au tempérament explosif et capable de dégoupiller à tout moment. "Il est l’un des plus gros tricheurs que l’on a jamais vu dans le football turc" , s’enflamme Bora Isyar, responsable de la version turque du magazine de foot The Blizzard, auprès de Ouest France. "Lors d'un Galatasaray-Beşiktaş en 2012, il avait par exemple simulé pour obtenir un penalty."

"Quand il était en Chine (entre février 2016 et août 2017), il avait mis une claque à un joueur au milieu d’un match" , se rappelle de son côté Antoine Michon. Même Guy Stéphan, l'entraîneur adjoint des Bleus, ne parvient pas à faire dans la langue de bois. "Truqueur ? Ce n’est pas loin de ça, je valide" , rigole le bras droit de Didier Deschamps, toujours auprès de Ouest France. Et ces écarts de conduite ne se limitent pas qu'au terrain. Bagarre avec un chauffeur de bus, vrai-faux divorce fracassant, accident de voiture en pleine nuit... "C'est un bad boy du foot, le Mario Balotelli turc en quelque sorte" , résume auprès de Ouest France Daghan Irak, maître de conférences auteur de recherches sur les relations entre sport et politique. Antoine Michon le compare lui à "Zlatan Ibrahimović." Il ne manquait plus qu'un Joey Barton pour compléter le tableau !

Une relation avec le président turc Erdoğan qui met le feu aux poudres

Comme si cela ne suffisait pas, Yılmaz se fait aussi détester pour ses opinions politiques. L'attaquant n'avait pourtant pas fait le choix le plus risqué, a priori, en soutenant le président turc Recep Tayyip Erdoğan, réélu au pouvoir depuis 2014. Sauf que le monde du football en Turquie a globalement des positions politiques bien différentes de celles du chef d'Etat conservateur. "La culture du foot est très laïque en Turquie. Elle est aussi très concentrée à Istanbul, une ville moderne, européenne, qui bascule de plus en plus dans l’opposition. La culture du foot dans cette ville, c’est la consommation d’alcool. C'est un monde opposé à celui d’Erdoğan" , explique Daghan Irak auprès de Ouest France.

L'Euro 2020, une occasion pour faire de Yılmaz un bien-aimé en Turquie ?

Burak Yılmaz, s'il reste une immense star en Turquie, est donc un personnage clivant, soit adulé, soit honni. Mais avec l'Euro 2020, l'attaquant du LOSC a l'occasion de mettre tout le monde d'accord. Après son incroyable saison dans le Nord (18 buts au total) et le titre de champion de France dont il a été l'un des grands artisans, le vétéran de 35 ans a donné encore un peu plus d'épaisseur à son statut de phénomène du football turc. Avec sa sélection, il a d'ailleurs confirmé sa resplendissante forme actuelle en terrassant les Pays-Bas presque à lui tout seul (4-2) en mars dernier, d'un fabuleux triplé.

Alors que la Turquie est l'un des outsiders les plus sérieux de la compétition et se présente avec une armada solidement pourvue à tous les postes, Yılmaz a l'occasion de porter toute une nation vers les sommets du football européen. Et peut-être qu'après ça, même ses plus fervents contempteurs seront forcés de l'aimer.